EDF a officialisé la vente de 64 % de sa filiale Exaion à l’américain MARA Holdings pour un montant de 168 millions de dollars. Exaion, spécialisée dans la blockchain et les services Web3 bas carbone, représentait une vitrine technologique française.
Cette opération, qui réduit EDF à un rôle d’actionnaire minoritaire, surprend à un moment où la France met en avant la nécessité de renforcer sa souveraineté numérique et énergétique.
Exaion, une pépite française issue d’EDF
Fondée en 2020 par EDF, Exaion avait pour mission de développer des solutions blockchain respectueuses de l’environnement. Là où la plupart des acteurs du Web3 étaient critiqués pour leur empreinte carbone, Exaion avait trouvé une voie originale : utiliser l’électricité d’EDF pour proposer des services blockchain à faible impact environnemental.
En quelques années, la société avait su séduire des clients prestigieux dans la finance, la culture et les technologies, se plaçant comme un acteur clé du Web3 européen.
Pour EDF, Exaion incarnait une diversification réussie. Alors que le groupe est traditionnellement centré sur la production d’électricité et le nucléaire, il avait su donner naissance à une filiale capable de s’imposer sur un marché en pleine expansion. C’est justement ce qui rend la cession d’une telle pépite à un fonds américain d’autant plus incompréhensible pour de nombreux observateurs.
Une vente justifiée par les besoins financiers d’EDF
La direction d’EDF justifie la vente par la nécessité de dégager des ressources financières. Avec le lancement de nouveaux réacteurs nucléaires en France et les investissements massifs nécessaires à la modernisation du parc existant, le groupe fait face à une équation budgétaire complexe.
Les 168 millions de dollars de cette cession permettent donc de renforcer la trésorerie, mais au prix d’un abandon partiel de contrôle sur un actif stratégique.
Cette logique court-termiste inquiète. Car si l’apport financier est réel, il reste marginal au regard des dizaines de milliards d’euros dont EDF a besoin pour ses projets nucléaires. En revanche, la perte de contrôle sur Exaion pourrait avoir des conséquences lourdes sur le long terme, notamment en matière de souveraineté numérique.
Un paradoxe de souveraineté : quand « Choose France » ouvre la porte aux Américains
Le plus surprenant est sans doute que l’acquéreur, MARA Holdings, a été présenté dans le cadre de l’initiative gouvernementale Choose France, censée attirer des investissements étrangers pour renforcer l’économie nationale.
Dans ce cas précis, le dispositif a conduit à un résultat paradoxal : EDF, entreprise publique, cède une part majoritaire d’une filiale stratégique à un acteur américain… au nom de l’attractivité économique française.
Cette situation illustre une tension profonde : la France veut attirer des capitaux étrangers, mais risque dans le même temps de perdre le contrôle de ses pépites technologiques. Le cas Exaion résonne avec d’autres dossiers, comme la cession de Photonis ou la dépendance croissante aux GAFAM pour les services cloud.
EDF aurait-il pu valoriser autrement Exaion ?
De nombreux experts estiment qu’EDF n’a pas exploré toutes les pistes avant de céder Exaion. L’une des critiques les plus récurrentes concerne l’absence de stratégie autour du minage et de l’exploitation des surplus électriques.
EDF produit régulièrement plus d’électricité que la demande, notamment lors des périodes de forte disponibilité nucléaire ou hydraulique. Ces excédents pourraient être valorisés en alimentant des fermes de calcul intensif, permettant à Exaion de se développer sur un marché particulièrement porteur.
Plutôt que de vendre sa filiale, EDF aurait pu miser sur cette synergie pour faire d’Exaion un acteur incontournable du Web3 et du calcul distribué en Europe. Une telle stratégie aurait renforcé la souveraineté énergétique et numérique française tout en générant de nouvelles sources de revenus.
Un symbole d’une Europe technologique à la traîne ?
Au-delà du cas EDF, cette vente pose une question plus large : pourquoi l’Europe peine-t-elle à transformer ses innovations en champions mondiaux ?
Alors que les États-Unis et la Chine investissent massivement dans les technologies de rupture, l’Europe semble prisonnière d’une logique de cession de ses meilleures pépites aux investisseurs étrangers.
Le cas Exaion s’ajoute à une longue liste d’entreprises stratégiques passées sous pavillon américain. Chaque fois, la même question ressurgit : la France est-elle condamnée à rester un laboratoire d’innovations vendues à d’autres ?
Perspectives : un choix réversible ?
EDF conserve 36 % du capital d’Exaion, ce qui lui permet de rester impliqué dans son développement. Théoriquement, rien n’empêche un retour ultérieur à une participation majoritaire si les conditions s’y prêtent.
Mais dans les faits, l’entrée d’un acteur financier américain change durablement la gouvernance et l’orientation stratégique de la société. Le risque est donc bien réel que la France ait perdu un levier précieux dans le Web3.
À l’heure où la souveraineté énergétique et numérique est présentée comme une priorité nationale, la vente d’Exaion apparaît comme un contre-exemple frappant. Elle illustre la difficulté de concilier besoins financiers immédiats et stratégie industrielle de long terme.